Dispense d’activité rémunérée : enjeux, mise en œuvre et implications juridiques

Dispense d’activité rémunérée : enjeux, mise en œuvre et implications juridiques #

Définition précise de la dispense d’activité avec maintien de rémunération #

La dispense d’activité rémunérée se caractérise par la suspension de l’obligation de travail du salarié : celui-ci reste lié par son contrat de travail, sans toutefois fournir de prestation de travail, tout en continuant de percevoir l’intégralité de sa rémunération ainsi que les avantages contractuels associés. Il s’agit donc d’une mise en sommeil temporaire de l’exécution des missions professionnelles, sans rupture ni dégradation du lien contractuel.

Ce régime se distingue nettement de la mise à pied (qui, selon sa nature, peut être disciplinaire et non rémunérée) ainsi que de l’arrêt maladie — lequel relève d’un motif médical et voit la protection sociale prendre le relais du maintien du salaire par l’entreprise. Le cadre légal de la dispense d’activité rémunérée trouve sa source dans les dispositions du code du travail, mais aussi dans la jurisprudence sociale, qui vient régulièrement préciser la portée de cette mesure, notamment via la Cour de cassation (cf. Cass. soc. 13 décembre 2011). Nous sommes ainsi face à une mesure d’exception balisée juridiquement : elle ne doit jamais masquer une sanction ni être un camouflage déguisé d’une rupture du contrat de travail.

  • Suspension du travail, mais pas de la relation contractuelle
  • Maintien du salaire et des avantages (tickets restaurant, mutuelle, véhicule de fonction… selon les usages en vigueur)
  • Interdiction de confondre cette mesure avec la mise à pied disciplinaire ou l’arrêt de travail médical

Cas pratiques : dans quels contextes la dispense est-elle utilisée ? #

Le recours à la dispense d’activité rémunérée intervient dans des contextes divers, souvent marqués par une transition ou une réorganisation. Nous retrouvons ce dispositif lors de la phase de préavis précédant un licenciement : le salarié n’est plus tenu de se présenter, mais conserve son salaire durant cette période. Ainsi, en 2023, la société Technip a placé plusieurs cadres en dispense d’activité après la notification de leur licenciement pour motif économique, tout en maintenant leur rémunération complète jusqu’au terme du préavis.

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On observe cet usage dans le cadre de la rupture conventionnelle, où l’accord des parties peut inclure une non-exécution du travail pendant la durée du préavis. Autre cas : l’application d’une clause de non-concurrence où, pour libérer immédiatement le salarié de toute obligation, la dispense d’activité rémunérée protège les intérêts de l’entreprise tout en garantissant au collaborateur son niveau de vie. Enfin, dans le dispositif de préretraite amiante, la dispense d’activité rémunérée est fréquente : Air France a ainsi mobilisé ce mécanisme en 2021 pour accompagner le départ de ses personnels éligibles vers la retraite anticipée. D’autres situations spécifiques, négociées collectivement ou décidées unilatéralement par l’employeur lors de réorganisations sensibles, illustrent l’intérêt de ce régime.

  • Procédure de licenciement individuel ou collectif (avec préavis non exécuté)
  • Mise en œuvre d’une clause de non-concurrence (avec ou sans contrepartie financière)
  • Dispositifs de préretraite ou d’accompagnement vers la sortie
  • Négociation à l’occasion d’une rupture conventionnelle individuelle

Effets juridiques sur le contrat de travail et la rémunération #

La relation contractuelle durant la période de dispense reste intacte : le salarié demeure titulaire de son poste, avec maintien de lien d’emploi. Cette suspension temporaire n’interrompt ni les droits à l’ancienneté, ni l’acquisition des congés payés, ni la participation à la mutuelle ou à la prévoyance collective de l’entreprise. L’ensemble de la rémunération brute — y compris les primes variables, avantages en nature ou commissionnements — doit être versé.

Le régime social applicable s’inscrit dans la continuité : les cotisations sociales patronales et salariales sont dues sur l’ensemble des sommes perçues, sans distinction. La protection sociale globale (maladie, prévoyance, retraite) reste effective, le salarié restant affilié au même titre que s’il exerçait effectivement son activité. Ce maintien des droits concerne également la portabilité de certains avantages dans un contexte de départ rapproché. Nous recommandons une vigilance accrue sur le calcul de la rémunération, afin d’éviter des erreurs de paie pouvant entraîner des contentieux prud’homaux.

  • Salaire intégral (fixe, primes, avantages en nature inclus)
  • Cotisations sociales maintenues sur la rémunération versée
  • Maintien des droits liés à l’ancienneté et à la protection sociale
  • Acquisition normale des congés payés

Procédure de mise en place et sécurisation juridique #

La sécurisation juridique de la dispense d’activité rémunérée repose sur une procédure rigoureuse. Il convient d’adresser une notification écrite au salarié, précisant la période concernée, les modalités de maintien de salaire, la situation des avantages contractuels et, le cas échéant, l’interdiction d’exercer une autre activité salariée ou indépendante. L’accord écrit du salarié n’est pas toujours requis, sauf si la mesure s’inscrit dans un accord transactionnel spécifique ou une rupture conventionnelle négociée.

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L’information précise du bénéficiaire constitue une garantie essentielle : elle limite le risque de « requalification » en mise à pied disciplinaire ou en licenciement déguisé. Lorsqu’une telle mesure n’est pas correctement documentée, le salarié peut saisir le Conseil de prud’hommes qui contrôle la régularité de la procédure. En 2022, chez Alstom, une procédure jugée irrégulière a conduit à une condamnation pour non-respect du maintien de certains avantages contractuels durant la dispense d’activité.

  • Notification écrite au salarié (lettre recommandée ou remise en main propre)
  • Précision des modalités : durée, rémunération, avantages, interdictions éventuelles
  • Archivage de tous les échanges, pièces et signatures pour prouver la régularité
  • Recours au service RH ou à un avocat pour veiller à la sécurisation

Risques, points de vigilance et erreurs fréquentes #

La gestion de la dispense d’activité rémunérée présente plusieurs points de vigilance spécifiques. L’absence d’un cadre écrit précis favorise les confusions avec la mise à pied disciplinaire ou la période d’arrêt maladie, pouvant entraîner des recours pour non-respect du droit du travail. Une erreur courante réside dans le calcul partiel de la rémunération ou l’oubli de certains avantages, comme à la SNCF en 2023, lorsqu’un agent dispensé d’activité n’a pas perçu sa prime de fin d’année, donnant lieu à une régularisation décidée par le tribunal.

Le non-respect de l’interdiction d’exercer une activité parallèle expose le salarié à des sanctions disciplinaires, et l’employeur au risque de requalification en rupture abusive. Par ailleurs, l’absence d’évaluation de l’impact sur l’équipe ou de dialogue formalisé peut être interprétée comme une forme de harcèlement moral, tout particulièrement si la dispense est utilisée pour isoler un salarié en difficulté. En 2024, un dossier chez Stellantis a ainsi conduit à la condamnation de l’entreprise pour licenciement abusif déguisé.

  • Défaut d’encadrement écrit de la dispense
  • Confusion avec mise à pied disciplinaire ou arrêt maladie
  • Erreur sur le calcul de la rémunération ou des avantages
  • Violation de la confidentialité ou de l’interdiction d’activité parallèle
  • Risque de harcèlement moral ou de contentieux prud’homal pour procédure irrégulière

Conséquences pratiques pour le salarié et l’entreprise #

La dispense d’activité rémunérée impacte fortement l’organisation interne : l’entreprise doit assurer la continuité du service en prévoyant un remplacement ou une réaffectation temporaire. En 2023, chez Dassault Systèmes, la mise en dispense de plusieurs commerciaux a nécessité la réorganisation des portefeuilles clients dans l’urgence, générant un surcroît de travail pour certains collaborateurs.

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Pour le salarié, la période de dispense peut s’accompagner d’incertitudes quant à l’avenir professionnel : bien que le salaire soit maintenu, l’éloignement du collectif de travail et la perte de rythme quotidien peuvent générer un certain malaise, voire une difficulté de réinsertion si un retour est envisagé. Nous recommandons d’instaurer un dialogue structuré entre employeur, manager et salarié afin de clarifier les attentes, protéger la confidentialité des dossiers en cours et anticiper la transition, qu’il s’agisse d’un départ ou d’une reprise d’activité.

  • Gestion du remplacement : anticipation du remplacement opérationnel ou du transfert d’activité
  • Maintien de la cohésion d’équipe : explication des motifs et accompagnement
  • Veille à la confidentialité des dossiers et à la sécurisation des accès informatiques
  • Dialogue sur le projet professionnel du salarié en dispense
  • Accompagnement social ou psychologique si la période s’avère prolongée

Nous considérons que la réussite de la dispense d’activité rémunérée repose sur une préparation organisationnelle et une communication transparente, garantes du climat social et de la conformité juridique.

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