Conseil de discipline en milieu hospitalier public : fonctionnement, enjeux et droits des agents #
Instances disciplinaires : composition et rôle du conseil #
Le conseil de discipline dans la fonction publique hospitalière se distingue par sa composition paritaire et sa mission d’expert indépendant des relations internes. Il tient son fondement juridique du décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 et s’inscrit dans le périmètre du titre IV du statut général des fonctionnaires. Concrètement, cet organe est formé au sein de la Commission Administrative Paritaire (CAP), réunissant à parts égales des représentants du personnel, élus par leurs pairs lors des élections professionnelles, et des représentants de l’administration hospitalière, désignés par l’établissement.
- Président du conseil de discipline : habituellement un membre de la direction, rarement extérieur, contrairement à la fonction publique territoriale présidée fréquemment par un magistrat administratif.
- Représentants du personnel : agents hospitaliers élus, affiliés à des organisations syndicales telles que la CGT Santé, la CFDT Santé ou l’UNSA Santé Publique.
- Représentants de l’administration : dirigeants des ressources humaines ou cadres supérieurs nommés par le chef d’établissement.
Le rôle du conseil ne consiste pas à prononcer la sanction mais à émettre un avis motivé sur la qualification des faits, le degré de gravité et la proportionnalité de la sanction envisagée. Il agit à la demande de la direction dès que l’agent titulaire encourt une sanction figurant dans le deuxième groupe (déplacement d’office, exclusion temporaire supérieure à 15 jours, rétrogradation, révocation). Les agents contractuels relèvent d’une procédure spécifique hors champ du conseil de discipline.
Lors d’une affaire récente à l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris (AP-HP) en janvier 2024, le conseil de discipline a examiné le cas d’un cadre infirmier mis en cause pour manquement à l’obligation de réserve, illustrant le rôle pivot de cette instance dans des situations délicates aux conséquences durables pour la carrière des agents.
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Procédure de saisine et préparation du dossier disciplinaire #
La procédure débute strictement par la rédaction d’un rapport de saisine, document établi par le directeur de l’établissement hospitalier ou son délégué. Ce rapport détaille précisément les faits reprochés, les circonstances, les preuves ou témoignages, et doit permettre au conseil d’appréhender objectivement la situation.
- Clarté et exhaustivité : la description des faits doit exclure toute ambiguïté susceptible de fragiliser la procédure, comme l’a rappelé la Cour administrative d’appel de Lyon le 30 janvier 1998
- Dossier disciplinaire : rassemblement de l’historique professionnel de l’agent, d’éventuels avertissements antérieurs, des entretiens ou signalements remontés via des outils tels que « VigiRH » de Cegedim Santé
- Respect des délais : la convocation devant le conseil ne peut être envoyée moins de 15 jours avant la séance, garantissant un délai minimal de préparation pour l’agent concerné
En cas de carence sur la qualification des faits ou de manquement aux exigences de motivation du rapport, la jurisprudence du Conseil d’État (notamment l’arrêt Cassia du 28 mai 2020) impose l’irrecevabilité partielle voire totale du dossier, bloquant la procédure à ce stade. Récemment, en avril 2024, un dossier à l’Hôpital Édouard Herriot de Lyon a été écarté pour défaut de précision sur la nature des propos tenus lors d’un différend entre collègues.
Déroulement d’une séance disciplinaire à l’hôpital #
Le jour de la séance, le rituel du conseil de discipline s’ouvre par la vérification du quorum, garantie de la régularité des débats selon l’article R. 245-1 du Code général de la fonction publique. Le président expose les faits et rappelle les droits de l’agent : assistance d’un défenseur syndical (issu notamment de la CGT Santé), d’un avocat spécialisé, possibilité d’accès au dossier et de consultation de pièces nouvelles. L’agent poursuivi peut présenter ses observations écrites ou orales et être assisté de témoins.
- L’ouverture de la séance : tirage au sort éventuel de membres suppléants, constatation du quorum, lecture du rapport de l’administration
- Tour des échanges : audition de l’agent, exposé de la défense, interrogations croisées, intervention des témoins s’ils sont déposés sur la liste transmise au préalable
- Gestion des incidents : si nécessaire, suspension de séance, refus d’audition de témoins non annoncés, demandes de report motivées (maladie, absence imprévue d’un défenseur)
La phase d’enquête préalable, réalisée en amont, est primordiale : elle s’appuie sur la collecte de signalements via des dispositifs internes type « Safeworker » dans les CHU, surveillance vidéo (dans le respect du RGPD et de la CNIL), audits RH ou rapports circonstanciés réalisés à la demande du Comité Social d’Établissement (CSE). Durant la séance, le président veille à la police des débats pour garantir l’équité et la sérénité des échanges. Un cas survenu au CHU de Toulouse en mars 2023 a montré que le report d’une séance pour défaut de communication du dossier a été considéré comme légitime par le tribunal administratif local.
Décision, délibération et règles de vote au conseil de discipline #
Au terme des débats, la délibération s’effectue hors la présence de l’agent, des défenseurs et des témoins. Le président met systématiquement au vote la sanction la plus sévère évoquée dans les propositions du conseil. Si cette sanction ne réunit pas la majorité des membres présents, sont successivement mises au vote les peines moins lourdes, dans la hiérarchie des sanctions, jusqu’à obtenir l’accord de la majorité.
- Formalisation : l’avis motivé du conseil précise de manière argumentée la qualification des faits retenus, la proportionnalité de la sanction et les circonstances atténuantes ou aggravantes
- Modalités de vote : seules les voix favorables sont comptabilisées, les abstentions et bulletins nuls étant exclus du décompte
- Transmission de l’avis : communication immédiate à l’agent et à l’autorité disciplinaire (généralement le directeur de l’établissement, dans les GHT ou les CHU). Dans une affaire en février 2024 au Centre hospitalier de Grenoble, le vote a abouti à une proposition de rétrogradation, malgré une défense active par l’Union des Praticiens Hospitaliers (UPH).
La décision finale revient exclusivement à l’autorité disciplinaire, laquelle n’est jamais liée par l’avis du conseil, même si elle doit expressément justifier son éventuel écart sur le plan juridique. Ce principe d’indépendance, illustré par des arrêts de la Cour Administrative d’Appel de Versailles, consacre l’autonomie de gestion des chefs d’établissements sanitaires face à des cas sensibles ou politisés.
Sanctions applicables et conséquences pour la carrière hospitalière #
La gamme des sanctions dans la fonction publique hospitalière distingue précisément plusieurs degrés de gravité (décret n°86-442), avec des conséquences différenciées pour agents titulaires et stagiaires. Pour un agent titulaire, il existe quatre groupes de sanctions :
- Premier groupe : avertissement, blâme, exclusion temporaire jusqu’à 3 jours
- Deuxième groupe : exclusion de 4 à 15 jours
- Troisième groupe : exclusion de 16 jours à 2 ans, rétrogradation, déplacement d’office
- Quatrième groupe : révocation définitive
Les agents stagiaires font quant à eux l’objet d’un régime spécifique, plus restrictif, articulé autour de l’exclusion temporaire ou de la non-titularisation qui, concrètement, peut fermer définitivement l’accès à la fonction publique hospitalière selon la note d’instruction de la DGRH du ministère de la Santé publiée en février 2022.
Toute sanction douloureuse pour la carrière, entraîne des répercussions sur :
- L’avancement d’échelon ou de grade (suspension temporaire voire définitive des droits à promotion)
- La mobilité professionnelle, affectant notamment les résultats aux concours internes portés par le Centre National de Gestion (CNG)
- La notation administrative, à l’origine d’effets durables sur la réputation professionnelle de l’agent
En 2023, une étude de la Fédération hospitalière de France révélait que 32% des sanctions prononcées impliquaient une exclusion temporaire supérieure à 15 jours, soulignant la sévérité croissante des décisions face à la pression hiérarchique et médiatique sur les établissements publics. Un récent dossier à l’Hôpital Bichat-Claude Bernard (Paris) a montré que la rétrogradation d’un médecin, pour faute grave sur les plannings, a durablement compromis ses espoirs d’avancement.
Droits et garanties de l’agent hospitalier en procédure disciplinaire #
La protection des droits de l’agent est solidement encadrée : le droit à la défense et aux voies de recours prévaut à chaque étape. L’agent peut se faire assister par un avocat spécialisé en droit public (la SCP Foussard-Fuchs-Broulhet à Paris ou le cabinet Bruno Roze, Bordeaux), ou par un représentant syndical accrédité (notamment de la Fédération FO Santé ou de la CFE-CGC Santé).
- Accès complet au dossier disciplinaire dès la convocation
- Droit de présenter des moyens de défense nouveaux ou complémentaires jusqu’à la veille de la séance
- Recours : après notification de la décision, possibilité de saisir le tribunal administratif compétent dans le ressort géographique ou de formuler un recours gracieux auprès du directeur d’établissement
- Appel possible auprès de la Commission de Recours du CNG (pour les praticiens hospitaliers) instaurée par la loi du 26 janvier 2016 « Modernisation du système de santé »
Les textes fondent ce socle de garanties : le Code général de la fonction publique (2022), la loi n°83-634 (loi Le Pors du 13 juillet 1983) et, pour les stagiaires, l’instruction de la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) de février 2022.
Nous constatons qu’un strict respect des règles procédurales conditionne la robustesse du dispositif : en juin 2023, au CHU de Lille, l’annulation contentieuse d’une révocation fut décidée suite à la non-transmission à l’agent de pièces essentielles relatives à l’entourage professionnel, illustrant durablement l’importance de la défense et de l’assistance syndicale.
Enjeux managériaux et stratégiques du recours au conseil de discipline #
Le recours au conseil de discipline revêt une portée largement transversale pour la direction des ressources humaines, la cellule qualité de vie au travail et la gouvernance des GHT (Groupements Hospitaliers de Territoire). Les enjeux touchent la préservation du climat social — qui influence la performance collective —, la qualité du dialogue social, mais aussi la réputation et l’attractivité de l’établissement, particulièrement dans les bassins en pénurie de professionnels comme la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis 2023.
- Gestion du collectif : concilier exigence de rigueur, soutien psychologique à l’agent poursuivi, communication claire, anticipation des retombées sur l’ensemble des équipes
- Image institutionnelle : chaque dossier disciplinaire médiatisé (affaires à l’AP-HP ou au CHU de Strasbourg en mars 2023) expose la direction à un risque réputationnel, imposant une gestion stratégique de la communication interne
- Articulation avec le dialogue social : implication des organisations syndicales, réunions tripartites de crise, recours à la médiation préfectorale en amont de la procédure disciplinaire, sont désormais des leviers du climat social hospitalier
- Numérisation des procédures : solutions RH cloud de Sopra Steria, signature électronique sécurisée, plateformes d’accès aux dossiers déployées dans plusieurs CHU depuis 2024
Selon notre analyse, l’évolution vers une transparence accrue, une dématérialisation de la gestion disciplinaire et une formation systématique des membres du conseil permettraient de renforcer significativement l’équité perçue des procédures et de prévenir de nombreux contentieux. Plusieurs établissements pilotes, comme le CHU de Nantes, expérimentent depuis 2024 l’intervention d’observateurs extérieurs à valeur consultative en amont du vote, contribuant à renforcer la confiance interne.
Plan de l'article
- Conseil de discipline en milieu hospitalier public : fonctionnement, enjeux et droits des agents
- Instances disciplinaires : composition et rôle du conseil
- Procédure de saisine et préparation du dossier disciplinaire
- Déroulement d’une séance disciplinaire à l’hôpital
- Décision, délibération et règles de vote au conseil de discipline
- Sanctions applicables et conséquences pour la carrière hospitalière
- Droits et garanties de l’agent hospitalier en procédure disciplinaire
- Enjeux managériaux et stratégiques du recours au conseil de discipline